La 53ème semaine

Les paupières lourdes, le souffle lent, la gorge sèche, les muscles engourdis, la jeune fille émergeait peu à peu de son sommeil. Le bourdonnement indéfini qui résonnait dans la cage de fer acheva de la réveiller, et elle tourna alors sur elle même pour se placer sur le dos, l’esprit encore embrumé, avant de se frotter les yeux. Ne parvenant pas à distinguer quoi que ce soit dans l’obscurité, elle s’efforça donc de chercher de ses mains quelque chose de familier – la douceur de ses draps ou le moelleux de son matelas – mais c’est avec le froid d’une grille métallique que celles-ci entrèrent en contact, et la japonaise se figea lorsqu’elle réalisa que ce réveil n’avait rien d’habituel. Ses pensées se bousculaient dans sa tête tandis que ses sens semblaient la regagner uns à uns, chacun d’eux venant confirmer une certitude déjà bien ancrée dans l’esprit de la jeune fille : elle n’était pas chez elle. Les vibrations qui secouaient la cage de fer et le frottement de celle-ci contre la paroi ne firent que raffermir cette conviction, et si elle comprit rapidement qu’elle était en mouvement, la réelle question était de savoir vers quoi, ou plutôt vers qui. C’est à cette évocation qu’une impression de déjà-vu la saisit, venant l’empoigner de toute sa force au point de la faire convulser,  et ses lèvres se tordirent malgré elle en un seul mot , murmuré, étouffé: « Non ».

La terreur l’envahit comme une main venue l’encercler de ses doigts, resserrant son étreinte un peu plus à chaque instant. Elle ne chercha pas à appeler à l’aide, comme si elle savait d’expérience qu’il ne s’agissait pas de la plus sage des décisions. Elle était habituée aux cauchemars, mais c’est précisément pour cela qu’elle savait qu’ici, ce n’en était pas un, non, simplement la réalité dans toute sa cruelle brutalité, et une réalité face à laquelle elle se sentait impuissante, enfant égarée qu’elle était au milieu d’un engrenage qui la dépassait. Celle-ci se redressa avant de se recroqueviller sur elle même, se balançant lentement, incapable de faire face au personnage qui avait hanté ses nuits, celui qui n'était plus qu'un homme sans visage dans son esprit. Les souvenirs qu’elle tenta de collecter et d’assembler la renvoyèrent tous à sa vie d’étudiante, et elle ne parvint pas à discerner le moment ou tout s’était arrêté, le moment qui l’avait menée jusqu’ici. Parcourant l’espace des yeux, ceux-ci étant à présent habitués à l’obscurité, mais ce sont ses oreilles qui décélèrent les premières un signe pouvant l’aider à identifier l’endroit où elle était gardée, et elle dû se concentrer pour entendre au delà du bruit produit par la machine qui l’élevait vers la surface. Le vent, les vagues…une voix. Peut-être pas dans cet ordre là, elle ne sait plus, elle ne sait pas, mais s’il y a une chose dont elle était certaine, c'était d’avoir entendu une voix. C’est là que la cage de fer termina son ascension, secouant une dernière fois la jeune fille avant de s’immobiliser.

Un volet s’ouvrit au dessus d’elle et un souffle glacial s’engouffra à l’intérieur tandis qu’elle resta tête baissée, aveuglée par la lumière. Les secondes passèrent, lentes, longues, insupportables pour la jeune fille qui n’attendait qu’une chose: découvrir ce qui l'attendait de l'autre coté. Les grilles qui la séparaient toujours de l’extérieur furent ensuite écartées, et elle se permit enfin de lever ses deux yeux encore plissés. Elle se figea à la vue de ceux qui l’observait d’en haut et la panique la gagna : ainsi entourée, elle se sentait plus vulnérable que jamais. Elle ne pouvait néanmoins pas s’empêcher de remarquer qu’ils n’étaient pas si différents d’elle, au contraire, ils la toisaient avec la même curiosité qu’elle avait à leur égard, comme s’ils espéraient qu’elle leur apporte des réponses trop longtemps attendues. C’est une femme qui brisa le silence et la jeune fille la fixa, intriguée de voir que celle-ci n’avait rien d’intimidant, et si d’autres semblaient plus menaçants, elle s’efforçait de parler d’une voix calme et posée qui se voulait presque rassurante. Si elle avait cru, un peu naïvement, qu’elle était de retour à Okinawa en entendant parler les deux langues autour d’elle, la déception pu se lire sur son visage lorsqu’elle comprit que ce n’était pas le cas. Une fois que celle s’étant présenté comme Lucy cessa de parler, la jeune fille n’en savait pas beaucoup plus qu’avant, seules ses craintes s’étaient révélées bien vraies : elle était captive, mais selon Lucy, ils l’étaient tous ici. Le peu d’informations obtenues ne l’avaient pas apaisée, et elle se retrouva tourmentée par une foule de questions. Réalisant les regards impatients, elle se rappela que Lucy l’avait interrogée et jugea qu’il valait mieux répondre pour ne pas s’attirer des ennuis dés son arrivée, qui sait combien de temps il faudrait aux autorités pour la retrouver, si cela était encore une possibilité.

«(JAP)Yume…je m’appelle Yume Fujimoto, je…je sais que j’étais à Tokyo, c’est là-bas que je fais mes études mais…je n’ai pas la moindre idée de comment je suis arrivée… »

Ils auraient pu l’agresser depuis longtemps s’ils l’avaient souhaité, mais ils s’étaient contentés de parler. Cela signifiait-il que Lucy avait dit la vérité ?  Certains d’entre eux portaient des armes, d’autres étaient sur leur garde, mais tous semblaient considérer que le seul danger possible venait d’elle. Elle prit un instant pour écouter les anglophones, ceux-ci parlant plus librement, pensant probablement qu’elle ne pouvait pas les comprendre, de manière à se renseigner discrètement sur ce qu’il se passait réellement sur l’île. Elle ne fut pas bien avancée, perdue entre les histoires de clans et autres, tout semblait pourtant indiquer que l’île était un lieu hostile. Elle posa ensuite les yeux sur le grand blond qui l'attendait toujours et se redressa avec difficulté après avoir balayé les mèches de cheveux qui lui recouvraient le visage.

«(ANG)Merci.», dit-elle presque naturellement après avoir attrapé la main tendue et s'être hissée sur la terre ferme. Consciente qu'ils représentaient une majorité à laquelle elle ne pouvait pas s'opposer, et qu'elle ne serait pas davantage en sécurité dans sa cage, elle n'avait eu d'autre choix que de les croire, ou de faire comme si c'était le cas.

«(JAP)Pourquoi suis-je là? Qui m'a...pardon...nous a envoyés ici? Vous n'avez pas essayé de partir?», ajouta-t-elle d'une voix plus affirmée à l'intention de Lucy.

 

Les inconnus s’écartèrent, permettant ainsi à la jeune fille d’observer librement son nouvel environnement, et celui-ci n’avait rien de familier. Les ruines qui s’élevaient, au loin, se révélaient plus menaçantes que jamais lorsqu’on imaginait que même les bâtiments de béton n’avaient pas résisté à l’acharnement des éléments, et au passage du temps. Elle parcourut des yeux les visages pâles et cernés qui la fixaient toujours et elle comprit qu’elle avait devant elle des survivants. Elle frémit à cette idée lorsqu’elle réalisa qu’à présent, elle était des leurs, et qu’il n’était qu’une question de jours, voir de semaines, avant que son corps et son esprit ne souffrent des mêmes maux : la fatigue, la faim, le froid…ils ne l’épargneront pas.

La réalité semblait dorénavant bien plus brutale que tout ce qu’elle avait eu le temps d’imaginer depuis son réveil, mais si elle s’était laissée aller à la panique dans sa cage de fer, ce n’était plus le cas, et elle arborait à présent une expression calme qui pouvait facilement déconcerter tandis qu’elle écoutait les informations que la japonaise lui communiquait. Elle pondérait silencieusement chacun de ses mots, ce qu’ils signifiaient, ce qu’ils impliquaient, et elle ne pu s’empêcher de remarquer que beaucoup de choses restaient encore inexpliquées. Elle ne réagit par lorsqu’on lui apprit que les plus anciens étaient arrivés il y a des mois de cela, ni lorsqu’on mentionna que plusieurs d’entre eux étaient mort, elle se contenta simplement d’acquiescer, le regard perdu dans le vide. La vérité était qu’elle n’avait aucune manière appropriée d’exprimer la foule d’émotions qui la traversaient, elle décida donc qu’il était plus sage de les garder pour elle. C’était sans compter sur ceux qui jugèrent qu’il était temps de l’informer de tout, et sans attendre, la noyant dans un flot de paroles qui n’avaient pas le moindre sens pour la jeune japonaise.

Un jeune garçon intervint, claquant trois fois dans ses mains pour ramener l’ordre avant de se présenter sous le nom d’Hideo. Il poursuivit en lui tendant un document qu’il déclara être l’historique de l’île, et lui expliqua qu’il contenait les informations essentielles concernant Hashima et les évènements qui avaient précédé son arrivée ici. Après que la jeune fille l’ait  remercié d’un signe de tête, c’est Lucy qui prit le relève en l’invitant à aller s’abriter dans le bâtiment le plus proche pour lui permettre de lire le document et avoir une meilleure vue de l’île sur laquelle elle était destinée à passer un temps indéterminé. Elle suivit donc la jeune femme accompagnée de quelques autres, y compris de l’américain qui avait précédemment demandé une traduction de l’historique à Hideo.  Il passèrent la porte bricolée et pénétrèrent à l’intérieur tandis que la jeune fille s’efforçait de faire face à la succession d’événements qu’elle venait de vivre, plongée dans ses pensées, elle manqua  même de trébucher à plusieurs reprises avant de reprendre ses esprits. Elle salua poliment le duo de japonais en s’inclinant et se présenta à son tour avant de prendre place sur la chaise qu’on lui avait indiqué et de commencer à lire, tentant tant bien que mal de se concentrer.  

La lecture ne fut pas longue pour la jeune fille, mais celle-ci la laissa perplexe, et elle resta figée un moment, muette, le temps pour elle d’assimiler toutes ces informations, certaines d’entre elles étant plus dur à accepter que d’autres, et ce malgré la manière presque scientifique dont Hideo les avait retranscrites. Elle ne savait pas ce qui était le plus terrifiant: qu’une partie des personnes mentionnées soit encore sur l’île, ou qu’une autre ne le soit plus. Son esprit logique l’avait aidée à visualiser l’évolution d’Hashima et de ses clans depuis le tout début, mais la question qui s’imposait à présent était de savoir le rôle qu’elle allait jouer dans tout cela, s’il n’était pas présomptueux de penser seulement qu’elle en avait un.

« [JAP] Lucy…j’ai terminé. », déclara-t-elle d’une voix douce avant de se tourner vers son interlocutrice, « J’ai pu voir que l’île a un passé chargé, ces derniers mois ont dû être rudes pour vous, je ne peux même pas imaginer ce que vous avez dû endurer, il est vrai que je n'arrive toujours pas à croire que je suis ici, alors imaginer ce qui s'est déroulé sur cette île avant mon arrivée...c'est trop me demander.», ajouta-t-elle, un sourire triste au coin des lèvres, cherchant les bons mots pour parler de quelque chose qu'elle n'avait pas traversé sans paraître indifférente à ce qu'ils avaient dû éprouver, « Je suppose que la suite logique est de vous demander...que dois-je faire à présent? Ou peut-être, que puis-je faire? »

Coopérer avait été une priorité pour la jeune fille depuis qu’elle avait accepté de suivre les inconnus hors de sa cage, et si elle était certes consciente de l’absurdité de sa situation et de la vitesse avec laquelle elle se devait s’assimiler toutes ces informations, elle dévoilait ici une remarquable capacité d’adaptation. A partir du moment ou elle avait accepté qu’elle était ici, qu’il en était ainsi et que rien ne changerait cette réalité, elle s’était de suite concentrée sur ce qu’elle pouvait faire, elle, pour avancer, et ce même dans l’adversité.
Un sourire se dessina au coin de ses lèvres lorsqu’elle remarqua l’enthousiasme de l’homme à l’idée d’accueillir un nouveau membre au sein de son clan. La jeune fille ayant été informée de la tranche d’âge des occupants de l’île, elle se doutait qu’ils devaient manquer de main d’œuvre qualifiée. Elle pourrait probablement se montrer utile à la fois dans l’atelier et en dehors, et si elle n’était certes pas rassurée par les dangers évoqués, la japonaise avait toujours été aventureuse, passant ses journées les pieds dans le sable et l’eau salée, et c’est justement ce qui lui avait manqué lorsqu’elle avait rejoint la ville pour étudier.

Laissant la parole à la japonaise américaine pour la suite, et fin, des explications, elle ne pu s’empêcher de noter l’hostilité qui existait entre les différents occupants, et entre les clans eux-mêmes. Si elle ne saisissait pas le fonctionnement de chacun d’entre eux, certains étant vraisemblablement entourés de mystère, c’est la notion de paria qui la dépassait, l’idée que l’on puisse ainsi fermer la communauté, ou que l’on puisse choisir de s’en écarter, lui semblait complétement étrangère. Elle réalisa cependant qu’elle n’était là que depuis peu, que rien ne lui était familier, et que ni la peur, ni la douleur n’avaient eu le temps de la changer. Son interlocutrice termina sur une note qui se voulait légère mais la jeune fille avait bien comprit que si son arrivée s’était déroulée dans le calme et la civilité, ça n’avait pas toujours été le cas.

«  [ANG] Je vais y réfléchir, oui, je vous remercie, tous les deux, de m’avoir éclairée. Nous aurons l’occasion de discuter plus tard, je n’en doute pas. » déclara-t-elle lorsque Hideo reprit son manuscrit et indiqua à l’homme qu’il pouvait s’installer plus loin pour le recopier avec la traduction de la japonaise américaine.

Hideo s’approcha de nouveau de la jeune fille et s’adressa à elle à voix basse, et si elle ne savait pas réellement où il voulait en venir, elle savait en revanche que son âge qu’elle ne pouvait que deviner ne l’empêchait pas de poser un regard averti sur son environnement.

« [JAP] Un…agent de renseignement ? Que veux-tu dire par là ? En quoi cela consiste-t-il exactement ? Veux-tu dire un…un espion ? », demanda-t-elle en s’accordant sur le volume de sa voix, visiblement surprise par ce qu’il évoquait, « La communication est-elle donc si difficile que ça entre les clans ? Les mineurs, par exemple, Lucy ne savait rien de leurs occupations, comment peut-on vivre dans un espace si limité et parvenir à garder autant de secrets ?  Si les clans coopéraient davantage, n’auraient-ils pas tous à y gagner ? », ajouta-t-elle avant de soupirer.

Le garçon semblait particulièrement intéressé par son passé, ou plutôt ce qui pouvait la rattacher au reste d’entre eux, le point commun qu’il partageait tous, la clé…Elle n’hésita pas à répondre, songeant qu’il était à l’origine de l’historique et que si quelqu’un était à même de découvrir la raison de leur présence ici, c’était bien lui.

« [JAP] Je viens d’Okinawa, j’y ai passé toute mon enfance et je n’ai quitté l’île que pour étudier. Mon père est militaire, il assurait la médiation entre japonais et américains là-bas et étant donné la présence étrangère j’ai en effet eu l’occasion d’entrer en contact avec plusieurs d’entre eux, mais rien qui ne sorte de l’ordinaire à mes yeux. Ma mère est océanologue mais elle passe la majorité de son temps à l’étranger. », elle marqua une pause avant de l’interroger à son tour, «  As-tu déjà remarqué certaines similarités entre les occupants de l’île ? Tu sembles être l’un des mieux informés, cet historique a dû te demander beaucoup de travail, non? »

Secrets…cette île semblait n’être faite que de secrets, chuchotés dans l’obscurité, ne cherchant qu’à être révélés. La jeune fille ne les avait jamais aimés, les secrets. Elle avait eu l’occasion de voir son père à l’œuvre dans son travail de médiation, et elle avait réalisé que si ceux-ci représentaient une force, ils représentaient également une perte de temps et d’énergie : pour ceux qui cherchaient à les voir éclater, et pour ceux qui s’efforçaient de les garder…secrets. Elle comprenait qu’il était difficile de se contenter de l’honnêteté, surtout dans une situation aussi compliquée que celle-ci, et elle ne pu s’empêcher de se demander ce que son père, lui, ferait. Il n’avait certes ni la douceur, ni l’ouverture d’esprit de sa fille, et son travail avait toujours été teinté d’une certaine subjectivité envers les étrangers qui foulaient sa terre et celle de ses ancêtres, mais il était doué dans ce qu’il faisait: encourager la coopération. Le clan qui l’avait accueillie ici semblait travailler dans cette direction, mais les mystères, eux, perduraient, et l’île ne semblait pas être la seule à en garder.

C’était donc un peu gênée qu’elle écoutait le jeune Hideo, consciente que s’il chuchotait c’était bien pour ne pas se faire entendre de quelqu’un qu’elle devinait être le japonais resté en retrait. Il tenta de reformuler ce qu’elle lui avait demandé avec des mots choisit avec précaution et lui expliqua le problème d’objectivité qui accompagnait nécessairement l’intégration d’un clan. Si elle était enthousiasmée à l’idée de rejoindre l’un d’eux au plus vite, le jeune garçon venait de la faire douter. Elle craignait de s’enfermer dans un clan et perdre sa neutralité, mais elle savait également que le statut de paria la distancerait de la communauté. Son arrivée se révélait plus complexe qu’elle ne l’espérait, et la question qui se posait à présent était de savoir quelle était la meilleure manière pour elle de contribuer.

«  [JAP] C’est humain ? C’est un portrait bien sombre que tu peins là, Hideo…mais je comprends, il serait arrogant de ma part de me déclarer au dessus de ça, même si j’ose espérer que je peux l’être…qu’on peut tous l’être, avec un peu d’efforts…Comme tu l’as dit, ça ne m’étonne pas que les secrets se gardent si les clans cloisonnent ainsi les relations, mais plus dérangeant encore, cela semble être la principale source d’hostilité…ils ne se parlent pas, n’échangent pas, et donc ne se comprennent pas…», déclara-t-elle, l’air pensive, portant sa tasse à ses lèvres pour en boire une gorgée de thé.

Lorsqu’il évoqua les similarités qui existaient entre les occupants de l’île, la jeune fille sembla mémoriser les informations qu’il lui communiquait.

« [JAP] Le neuf août mille neuf cent quarante cinq…Nagasaki, vraiment ? Pourquoi est-ce…», elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase, interrompue par le japonais qui était resté en retrait, celui-ci s’adressant à Hideo, évoquant certaines de ses suppositions. Elle écoutait silencieusement l’échange entre eux, notant mentalement les observations mentionnées, celles-ci soulevant de nouvelles questions.

Hideo s’adressa de nouveau à elle en chuchotant pour parler du curieux dont il avait précédemment prononcé le nom, Roni. S’il était là depuis plus longtemps qu’Hideo, il devait probablement avoir sa part de suppositions, lui aussi, et la jeune fille ne manquerait pas de le questionner lorsqu’elle en aurait l’occasion. C’est sur cette pensée qu’elle termina son thé avant de poser sa tasse sur la table, juste à temps pour suivre la traductrice qui lui proposait de se joindre à elle pour le recensement mensuel.

«  [ANG] Oui, bien sûr, avec plaisir, je pourrais ainsi mieux me familiariser avec eux, et inversement. », déclara-t-elle avec le sourire avant de remonter la fermeture éclair de sa fine parka, prête à affronter de nouveau le froid, « Vous nous accompagnez ? » ajouta-t-elle à l’intention du meneur des Mecanics et de son bras droit.

Son arrivée sur l’île s’était jusqu’ici résumée à beaucoup de questions et peu de réponses, et la jeune fille commençait à se sentir de plus en plus seule et ce malgré les quelques mots échangés avec les autres occupants de l’île. Elle se sentait impuissante, ne sachant pas qui croire ni quoi penser, et si elle avait accordé sa confiance à ceux qui l’avaient accueillie, acceptant de les suivre et de les écouter, elle avait vite comprit qu’elle ne pourrait pas se permettre d’agir de la sorte  avec n’importe qui : tout le monde n’aurait pas ses intérêts en tête. Restait à savoir si elle saurait faire les bons choix concernant ses associés, et si elle souhaitait éviter les conflits et les prises de partie, elle savait que parfois il fallait trancher au risque que quelqu’un d’autre le fasse à sa place, mais encore fallait-il savoir ce qui lui tenait le plus à cœur, ou si ses valeurs survivraient aux premières semaines passées sur l’île…

Elle cligna des yeux comme pour chasser des pensées qu’elle jugeait inutile de cultiver pour l’instant, elle avait besoin de temps, et alors seulement elle pourrait faire des choix. Lorsque le petit groupe sortit enfin, les deux hommes ayant acceptés de les accompagner, elle saisit le papier tendu discrètement par le jeune japonais et le fourra dans l’une de ses poches, lui lançant un regard reconnaissant et se promettant de le lire à la première occasion. Elle savait qu’il ne faisait pas ça simplement pour l’aider, et il avait déjà exprimé l’idée qu’elle puisse se montrer utile de part sa neutralité…tant que celle-ci n’était pas souillée par les intérêts d’un clan, ce qui, d’après lui, semblait inévitable si elle décidait de rejoindre l’un d’entre eux. La jeune fille, elle, avait encore l’espoir peut-être naïf que sa volonté ne ploierait pas aussi facilement sous la pression, et qu’elle pouvait garder son objectivité quel que soit les liens créés. Elle bénéficiait après tout d’un esprit scientifique, logique, méthodique, cherchant la vérité plus que le confort de l’illusion, qui pouvait dire que sa simple volonté ne suffirait pas à préserver son intégrité ? Suivant ses guides dans la direction d’une bâtisse en ruine, elle s’engouffra dans le trou au sol après eux, le japonais encore présent étant le seul à se trouver derrière elle, fermant la marche dans les couloirs noirs simplement éclairés par les lampes des deux hommes. Le meneur leur donna quelques informations concernant les lieux, leur déconseillant de s’aventurer seules ici-bas, et la jeune fille acquiesça en silence, observant minutieusement son nouvel environnement. Elle était une enfant de la nature, habituée à être bercée par le bruit des vagues, à s’imbiber les poumons de l’air marin, et à fouler le sol des forêts de l’île, elle avait donc toujours été plus à son aise à l’extérieur, dans son élément. Se retrouver ainsi sous terre lui donnait l’impression de suffoquer, elle n’appréciait pas les espaces confinés mais n’avait jamais réellement cherché à savoir pourquoi, craignant de révéler des choses qu’elle aurait préféré garder enfouies. Si elle pourrait s’y adapter avec le temps, elle ne resterait probablement pas là si on lui donnait le choix…mais c’était sans compter sur le fait qu’elle ne l’aurait peut-être pas, ce choix, si elle comptait en apprendre davantage sur l’un des lieux les plus mystérieux de l’île.

« [ANG] Ne vous inquiétez pas, je doute que l’envie me prenne de revenir ici bas… » déclara-t-elle en frissonnant face à la froideur des lieux, ceux-ci n’ayant rien d’accueillant.

L’atmosphère se faisait plus pesante à chaque minute pour la jeune fille et elle laissa échapper un soupir de soulagement lorsqu’ils s’arrêtèrent enfin. Après une courte confusion entre eux concernant l’électricité, ce que la japonaise ne manqua pas de noter mentalement puisque cela ajoutait une nouvelle question aux multiples qui avaient déjà été soulevées, le meneur leur affirma qu’ils n’était pas sage de revenir ici, seul ou accompagné, et qu’ils devaient à présent faire preuve de patience en attendant que l’un des mineurs les rejoigne. La japonaise grimaça à l’idée de devoir rester ici plus longtemps que nécessaire mais elle ne dit rien, sachant pertinemment que c’est dés à présent qu’elle devait commencer à lutter contre ses faiblesses.

Croisant les bras comme pour se réchauffer, elle écouta le meneur tuer le temps avec des questions auxquelles elle répondit sans hésitation après la traductrice, elle avait peu de choses à cacher….elle avait aussi peu de choses tout court. Elle mentionna ses années à Okinawa, ses études d’ingénierie, les heures qu’elle avait passé à longer les plages de sables blanc et a nager au milieu de l’eau salée, ses parents et leurs carrières respectives, tout cela sans trop s’imposer, restant discrète et modérée. La jeune fille avait une vie simple avant, trop peut-être, et rien qu’elle n’ait dit n’aurait pu être utilisé contre elle, les rares secrets qu’elle gardait ne leur seraient d’aucun intérêt. Parler de son passé l’avait forcée à porter son attention sur autre chose que son environnement, et l’anxiété qui l’avait gagné auparavant semblait peu à peu la quitter. Elle finit par retourner les questions aux deux hommes, sachant pertinemment qu’ils resteraient brefs dans leurs réponses. Elle fut interrompue en plein milieu par un bruit métallique au loin et elle tendit l’oreille, certaine que cela annonçait la venue de quelqu’un. Enfin, songea-t-elle, rongée par la curiosité, l’envie de découvrir le visage de l’homme qui vivait reclus sous terre se faisant sentir davantage à chaque pas résonnant derrière la porte blindée.

Déçue ? Non, ce n’était définitivement pas le mot qui s’imposa dans l’esprit de la jeune fille lorsque le mineur poussa la porte blindée. Il était imposant à sa manière, certes, mais elle s’attendait à un homme un peu plus …effrayant ? Malgré ses yeux perçants et l’expression sérieuse qui semblait ancrée sur son visage, il n’avait rien d’inquiétant. Elle fronça les sourcils lorsqu’elle réalisa qu’elle avait déjà été influencée par les informations qu’on lui avait transmises jusqu’ici, laissant son imagination vagabonder, s’abandonnant à des préjugés qui ne relevaient que d’illusions. Si un simple regard ne pouvait certes pas beaucoup l’éclairer sur la nature de l’homme et les secrets qu’il pouvait garder, et que l’on n’avait de cesse de lui rappeler que les apparences sont bien trop trompeuses pour qu’on puisse s’y fier, elle estimait qu’elle se devait à elle même de ne jamais juger de manière hasardeuse. Réalisant qu’elle s’était perdue le temps d’un instant dans ses pensées, et que la traductrice l’avait déjà présentée, elle se contenta de le saluer en s’inclinant comme elle l’avait fait pour les autres jusqu’à maintenant. Elle ne préférait pas s’imposer et resta silencieuse, considérant qu’ils étaient ici pour des affaires bien plus importantes que sa simple intégration sur l’île.

Ecoutant les échanges entre eux, elle soutint le regard du mineur lorsqu’il se porta de nouveau sur elle. Elle pensait que les yeux en disait parfois davantage que les mots et tentait ici de le cerner…sans grand succès, elle en savait encore trop peu sur lui pour pouvoir essayer de le comprendre, elle en était consciente à présent, c’est le genre de choses qu’elle ne pouvait pas précipiter. Elle l’observa néanmoins, notant au passage quelques détails comme la façon plus douce dont il parlait à la jeune femme par rapport aux mots adressés précédemment aux hommes sur un ton plus ferme, comme quoi il n’était pas dénué de sensibilité malgré l’isolation de son clan dans les mines au point ou peu d’informations à leur sujet passait la porte blindée qui les séparait du reste des occupants de l’île. Elle ne poussera néanmoins pas l’analyse plus loin, songeant qu’elle aurait tout le temps d’apprendre à le connaître lui et les autres.

S’efforçant machinalement de retenir les noms mentionnés, la jeune fille vit venir la tentative d’humour de l’homme, non sans quelques doutes, ce qui ne fut pas le cas de la traductrice qui se laissa prendre par le ton sérieux de son interlocuteur. Un sourire se dessina sur ses lèvres, il s’agissait là de l’un des rares moments de légèreté auxquels elle avait eu le droit depuis son arrivée et elle le savoura comme si c’était le dernier, sachant pertinemment qu’une fois qu’elle ne serait plus sous la supervision de ceux qui l’avaient accueillie, son quotidien s’organiserait autour des nécessités qu’implique la survie. Lorsqu’il lui conseilla de ne pas se fier aux rumeurs à son sujet, la jeune fille se sentie directement visée même si le conseil ne lui était pas adressé , après tout c’était elle qui se laissait leurrer par de simples mots, et ce en si peu de temps…et elle se permettait ensuite de juger ceux que l’île avait changés, celle-ci semblait avoir cette effet insidieux sur ses occupants. Si la jeune fille s’exclamait corps et âme qu’elle resterait la même, elle commençait à douter de sa volonté…non, elle ne pouvait pas commencer à douter, pas aussi tôt, pas maintenant.

Portant son attention sur l’homme qui parlait à présent des dangers présents ici bas, elle fronça les sourcils en écoutant celui-ci mentionner des soi-disant créatures souterraines qu’il nomma « crowlers » : une autre de ses tentatives d’humour ? Malheureusement pour elle, il n’en était rien, et elle sentit qu’il ne s’agissait pas là d’un sujet dont on pouvait se permettre de rire, surtout lorsqu’il avait vraisemblablement perdu des hommes à cause d’eux. C’est sur cette note plus sérieuse qu’il termine leur entretien, non sans inviter les deux jeunes filles à revenir à la prochaine exécution de l’un de ces « crowlers » pour qu’elles puissent se rendre compte par elles-mêmes de leur nature bien réelle. Elle se tourne alors vers la traductrice qui prend la parole pour commenter leur discussion avec le mineur.

« [JAP] De nouvelles questions sans réponses, c’est bien ça ? », demanda-t-elle doucement, les yeux baissés, se rendant compte que la situation se faisait de plus en plus complexe, «  [JAP] Il est en effet en bonne santé pour quelqu’un qui passe ses journées enseveli sous terre entouré de mille et un dangers. Il semble être l’un de ceux qui survivent, je ne sais pas comment, mais après tout on ne s’enferme pas dans l’obscurité des mines pour rien, il y en a qui sont forgés pour ça, d’autres non… » ajouta-t-elle, à présent curieuse vis à vis de ces mineurs, et de leur meneur.

Elle songea silencieusement à ce que l’existence des créatures dont il avait parlé impliquait, qu’est-ce que cette information lui apportait concernant la compréhension plus globale de l’île elle même ? Qu’est-ce que cela pouvait vouloir dire quant à la raison de leur présence ici ? Y avait-il seulement un lien, ou n’était-ce pas naïf de penser qu’il puisse ne pas en avoir un? Tant d’éléments plus absurdes les uns que les autres semblaient réunit sur une parcelle de terre si réduite, cela ne laissait pas de place au hasard, il y avait forcément une raison. La traductrice avait dit que les créatures ressemblaient à des hommes, et si….s’il s’agissait bel et bien d’hommes, d’autres hommes, là bien avant qu’eux ne mettent pieds sur l’île ? La jeune fille se mordit la lèvre et serra le poing, plantant ses petits ongles dans sa paume, tentant tant bien que mal de faire cesser ce flot de pensées qui ne faisaient que l’effrayer. Et si, et si…il n’y avait plus de temps pour des si et des mais ici, seule la vérité comptait, une vérité que la jeune fille s’efforcerait de révéler, mais elle avait tout le temps devant elle pour cela, après tout elle n’avait nulle part où aller. Elle salua l’homme d’un signe de tête lorsque celui-ci décida qu’il leur avait accordé suffisamment de son temps, réalisant qu’elle ne lui avait pas dit un seul mot. Il semblait occupé, comme tous ceux qui avaient une tâche ici, et elle n’avait pas souhaité l’importuner avec les questions qui la tourmentaient, mieux valait ne pas l’agacer dés leur première rencontre qu’elle n’espérait pas être la dernière, surtout lorsqu’elle comptait sur lui pour l’éclairer sur les mystères de l’île, y compris sur ceux dont lui seul semblait avoir la clé.

Laissant retomber ses mains à ses cotés, soutenant le regard neutre de l’homme qui la fixait silencieusement, elle scrutait son visage à la recherche du moindre signe pouvant indiquer la nature de ses pensées mais elle ne fut gratifiée que d’un simple hochement de tête pouvant porter à confusion. Ce n’est qu’après l’avoir laissée patienter pendant de longues secondes qu’il leur fit signe de le suivre, à elle et à son accompagnatrice, avant de gravir les marches qui menaient jusqu’au toit. Arrivés en haut de celui-ci, la jeune fille posa les yeux sur le temple qui se dressait devant elle, surprise de voir qu’il ne s’était pas déjà écroulé. Il surplombait le reste de l’île et cela ne faisait qu’ajouter au mystère du lieu, comme si une force mystique l’avait gardé de l’acharnement des vents. Le clan spirituel de l’île se chargeait probablement de son entretien, la surface dégagée semblait réservée à la méditation et au recueillement.

L’enfance de la jeune fille avait été bercée par les récits et légendes liés aux kamis et autres esprits logeant dans les forêts de son île, au sommet des arbres aux feuillages denses et au fond des ruisseaux et des étendues d’eau salées, c’est donc des sanctuaires plus que des temples qu’elle avait eu l’occasion de côtoyer. Ses parents ne s’étaient jamais accordés sur la manière dont ils souhaitaient lui transmettre la religion, elle n’avait donc pas été fortement influencée de ce coté là, et ce malgré le fait que leur foyer accueillait les deux autels destinés à l’usage domestique pour les offrandes rituelles, ceux-ci ayant rarement été utilisés ou uniquement par la jeune fille. Etant de nature curieuse, elle était aller chercher le savoir autre part, y compris dans les temples de l’île ou elle avait toujours été bien accueillie. Elle s’était depuis toujours appliquée à respecter les croyances de ceux qu’elle rencontrait et c’est sans la moindre hésitation qu’elle accepta la requête du jeune homme : convaincue ou pas de leur existence, aujourd’hui n’était pas le jour pour fâcher une divinité. Après l’avoir rejoint, elle s’inclina deux fois, tapa à deux reprises ses paumes avant de joindre les mains pour s’incliner, suivit d’une dernière salutation, remerciant ainsi les dieux comme il l’avait demandé. Tout cela en silence, la jeune fille était toujours intrigué par ce personnage particulier et elle craignait de faire le moindre faux pas, sa seule présence suffisant à imposer une certaine humilité.

C’est seulement lorsque la voix douce de l’homme s’éleva après un court moment de silence qu’elle se permit de poser les yeux sur lui, et un sourire se dessina sur ses lèvres quand il révéla qu’elle avait bel et bien le droit à ses sept questions. Son expression enjouée ne dura qu’un temps lorsqu’elle réalisa qu’elle devait à présent choisir ces questions et cela en fonction des informations qu’elle avait déjà, et celles qu’elle n’avait pas. Lorsque son regard croisa celui de son accompagnatrice, elle se rappela que celle-ci n’était pas venue ici par hasard mais qu’elle avait une tâche à remplir, et elle lui était toujours redevable d’avoir accepté de l’emmener. Elle tenta de se remémorer les mots griffonnés sur le papier que lui avait donné le japonais, ayant eu le temps de le lire discrètement durant leur ascension, ainsi que les mystères soulevés par ceux avec qui elle avait conversé jusqu’à maintenant.

« [JAP] Je te remercie… je tiens à préciser avant de commencer que si je pose ces questions c'est pour améliorer ma…notre compréhension de l’île…j’espère que tu ne m’en voudras pas si je me montre trop indiscrète… » commença-t-elle, peu assurée mais reconnaissante pour cette opportunité, « …avant tout pourrais tu me donner le nom et l’état  de chacun des membres de ton clan ? » et d’une question, c’était après tout la raison de leur venue, « La plus jeune de ton clan, quand vous a-t-elle rejoint?», «Quel rôle joue-t-elle parmi vous ?», « Qui se charge de vous faire des dons?», « Quelle était, selon toi, la raison du changement de Kurosawa Shin ?», « Et celle de notre présence ici? », « Enfin, quelle est ta plus grande peur sur l’île ? »

Elle avait, une nouvelle fois, énuméré les nombres sur ses doigts et attendait à présent les réponses de l’homme. Elle avait jonglé entre différents types de questions, souhaitant avoir un avis à la fois objectif et subjectif de la part du tatoué, Ayant abordé des sujets qu’elle ne connaissait pas très bien, elle s’efforçait de saisir leur importance alors qu’ils n’avaient aucun sens il y a encore des heures de cela. Elle savait qu’il n’aurait pas toutes les réponses, mais cela valait le coup de tenter sa chance au risque de le regretter par la suite. La jeune fille espérait quand même qu’il pourrait l’éclairer quelque peu, sans quoi elle se retrouverait encore plus perdue qu’avant.

Chacune des réponses était accueillie d’un hochement de tête de la part de la jeune fille. Elle prêtait une oreille attentive à ce que l’homme acceptait de lui révéler, consciente que peu de personnes devaient avoir eu l’opportunité de questionner librement l’un des membres du clan spirituel de l’île. Elle sourit lorsqu’il mentionna à plusieurs reprises les esprits et autres êtres surnaturels, si cela ne l’avançait pas toujours elle savait qu’il s’agissait là de la simple expression de ses croyances et qu’elle ne pouvait pas lui reprocher d’être franc. Elle avait remarqué que certaines questions avaient posé problème, sans pour autant savoir s’il aurait aimé avoir une réponse à donner ou s’il cherchait un moyen de ne pas trop en dévoiler, le fait est qu’elle devrait y réfléchir à tête reposée. Elle ne manqua pas de noter mentalement toutes les informations, y compris l’intervention de la médiatrice et les citations aux airs d’énigmes avec lesquelles l’homme avait clôturé cet entretien, elle savait que chaque mot pouvait compter et qu’il s’agissait la des clés qui lui permettraient de résoudre les mystères de l’île, aussi mystique qu’ils aient pu sembler.

S’inclinant pour remercier l’homme de son aide et de sa coopération, elle s’était ensuite tournée vers son accompagnatrice, celle-ci étant visiblement peu convaincue par les réponses qu’il avait apporté.

« [JAP] Je pense qu’il nous a dit ce qu’il savait…ou du moins ce qu’il pouvait …mais je n’irais pas jusqu’à dire qu’il a essayé de nous tromper. Il y a des vérités subjectives, celles-ci peuvent apparaître superficielles mais c’est en les interprétant que l’on peut avancer vers la vérité objective …enfin ce n’est là que ma perception des choses, tu as probablement pu te faire une meilleure idée des occupants de l’île étant que tu es là depuis plus longtemps. » dit-elle, un sourire doux s’étant dessiné sur ses lèvres, « Il a sa propre façon de procéder mais il s’est montré accommodant, j’imagine que c’est tout ce que l’on peut exiger. », se rapprochant de l’extrémité du toit, elle vint poser son regard sur l’étendue de terre sur laquelle elle était destiné à passé ses prochaines journées, « Je suis prête, oui. Quelle est notre prochaine destination ? »

A peine arrivée et voilà que la jeune fille était déjà plongée dans des opérations dont elle ne saisissait pas encore l’importance, forcée de retenir des noms et des évènements qui n’avaient jusqu’alors aucun sens pour elle. Chaque clan semblait apporter une nouvelle dimension à sa compréhension de l’île, et pourtant plus elle avançait, plus elle en apprenait, et plus elle avait l'impression de nager en eaux troubles. L’île lui ouvrait des abîmes obscurs dans lesquels elle craignait de s’engouffrer, bien consciente qu’en « scrutant le fond de l’abysse, l’abysse la scrutait à son tour », et qu’il était risqué de s'y aventurer aussi innocemment, sans la moindre idée de ce qui l'attendait dans le profondeurs.

La jeune fille se retourna précipitamment, posant ses deux yeux écarquillés sur la traductrice, confuse et déconcertée de l’avoir fait ainsi douter, elle s’apprêtait à intervenir lorsque celle-ci lui adressa un sourire plus léger avant de l’entraîner vers les escaliers. Elle semblait particulièrement enjouée à l’idée de visiter le prochain clan, ce qui ne manqua pas d’étonner la japonaise. Elle eut un court instant l’occasion de voir Hashima à travers les yeux de son accompagnatrice, cette dernière lui offrant une image plus légère de l’île qui la maintenait en captivité. Si elle avait accepté son sort et s’était concentrée sur la manière dont elle pouvait faciliter cette transition, et ce alors qu’elle venait d’arriver, elle n’était pas encore habituée à l’environnement hostile dans lequel elle avait été plongée. Le clan qu’elle décrivait semblait pouvoir puiser la vie de cette terre qui respirait la mort et le sang, qu’il s’agisse des ruines qui la jonchaient ou des victimes qui s’y étaient écroulé, rien ne laissait imaginer que des végétaux puissent y pousser. C’est donc ainsi piquée par une certaine curiosité que la jeune fille se laissait guider, et elle ne pu s’empêcher de laisser échapper un murmure étouffé lorsque ses yeux se posèrent sur les installations qui entouraient les trois bâtiments alignés. Sous le ciel gris se dessinait des étendues vertes, comme des touches de couleurs sur ce tableau hivernal, et les lieux semblaient avoir été aménagés avec soin.

« [JAP] C’est…je n’ai pas de mots…c’est…vivant ?! », s’exclama-t-elle, cachant à peine son admiration, « On se croirait…autre part, oui, c’est ça, loin d’ici. C’est impressionnant. » ajouta-t-elle en tournant la tête vers la traductrice et en esquissant un sourire discret.

Invitée à rentrer dans l’un des bâtiments après avoir retiré ses chaussures, la jeune fille continue son inspection. Ce n’est que lorsque la traductrice prononce son nom qu’elle s’extirpe de ses pensées pour poser les yeux sur la petite noire qui lui faisait face, cette dernière enchaînant déjà les questions à une vitesse déconcertante, laissant peu de temps à la japonaise pour reprendre ses esprits après le dépaysement qu’elle avait subit.

« [JAP] Je viens de…[ANG] Excuse moi. Je viens d’Okinawa, mais j’étudiais à Tokyo, oui. Tu connais la ville ? Elle est immense, je m’y sentais toute petite… », avoua-t-elle sur un ton léger, «  J’ai vingt ans ! Quinze ? On est pas si différentes que ça, encore quelques années et tu y seras… », elle réalisa qu’elle ne savait pas où elles seraient dans cinq ans, elle avait simplement l’espoir qu’aucune d’elles ne seraient encore ici pour souffler leurs bougies, « Je suivais des cours de sciences, je voulais travailler dans l’astrophysique…tu sais, les étoiles, les planètes…ça me passionnait… » révéla-t-elle d’une voix triste, elle ne pouvait pas prévoir la prochaine fois qu’elle aurait l’occasion de mettre la main sur un télescope, « Et toi, tu venais d’où ? J’en ai même oublié de te demander ton nom ! Je suis enchantée en tout cas. » finit-elle par déclarer.

Elle tourna rapidement la tête vers la traductrice, juste le temps de lui répondre avant que son attention ne se porte sur l’un des coins de la pièce où des marches s’étaient mises à grincer, révélant une forme élancée descendant les escaliers.

« [ANG] Oui, je veux bien de l’eau si ça ne te déranges pas… »

La jeune fille posa ses yeux sur la jeune femme qui s’avançait à présent dans leur direction, celle-ci étant d’une élégance déconcertante malgré ses vêtements évoquant un autre temps, et elle ne put s’empêcher de se sentir toute petite devant cette inconnue qui imposait le respect par sa simple présence. Faisant la seule chose qui lui semblait cohérente dans cette situation, elle s’inclina pour saluer la nouvelle arrivée avant de se relever pour soutenir son regard, celui-ci semblant presque la percer, la déchirer, pour mieux la dévoiler.